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Incinérateur de Maincy :

«On pensait donner de belles maisons à nos enfants.
Ils ont eu du poison.»








Extraits de l’ article de Médiapart du 24 mai 2019 par Jade Lindgaard


"Pendant six mois, en 2002, l’incinérateur de Vaux-le-Pénil (Seine-et-Marne) a émis jusqu’à
2 260 fois plus de dioxines que le taux réglementaire.

Un an après sa condamnation pour mise en danger d’autrui, la communauté d’agglomération Melun Val de Seine (CAMVS) conteste en appel sa responsabilité dans les rejets toxiques de l' incinérateur. Des riverain•e•s de Maincy, la commune impactée, en Seine-et-Marne, réclament justice depuis vingt ans. [...]

Les toits de leurs maisons, les tables de leurs jardins, leurs potagers se sont couverts de poussières noires. Une femme a perdu son mari à 56 ans d’un cancer. Un homme a perdu sa fille d’une maladie rare. Une femme a perdu sa fille. Un homme explique avoir subi trois cancers. Vingt ans après, ils n’ont toujours pas le droit de manger les œufs de leurs poules ni les légumes de leurs parcelles. [...]

Pendant les quatre jours du procès, des dizaines d’habitant•e•s de la commune de Maincy, qui s’est retrouvée sous le panache de l’incinérateur, sont venues témoigner et écouter les plaidoiries. La procédure court depuis presque vingt ans. [...]

Dans la salle, la plupart des têtes arborent des cheveux blancs et gris. « On pensait donner de belles maisons à nos enfants, dans la nature. On leur a donné du poison. On culpabilise. C’est terrible », explique une femme après l’audience. « Ma femme a allaité nos trois fils. La dioxine se fixe dans les corps gras. Elle la leur a transmis en les allaitant », décrit un homme. « Il n’y a plus de lapins. On ne voit plus de perdrix grises, plus de furets », ajoute un autre.

Qu’attendent-ils de ce procès en appel ? Dans le hall du palais de justice, avant de repartir avec son époux, une dame explique : « On attend qu’il ne se passe plus jamais ça. On s’est battus pendant vingt ans pour nos enfants et nos petits-enfants. » Devant la juge, l’avocat général a salué « le courage et la détermination » des parties civiles.





Le 6 mars 2018, la condamnation de la CAMVS pour mise en danger délibérée d’autrui est présentée comme historique par la défense des 165 parties civiles, assurée par Pierre-Olivier Sur, ancien bâtonnier, et Corinne Lepage.

« Énormément d’incinérateurs ont dysfonctionné. Mais jusque-là, on n’avait jamais réussi à en faire condamner un », explique en aparté l’ancienne ministre de l’environnement. En première instance, l’exploitant a été condamné à 250 000 € d’amende, dont 50 000 € avec sursis. Pour le préjudice écologique, la commune de Maincy avait obtenu 15 000 €. L’ensemble des plaignants avait obtenu 82 000 € de frais de justice.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe l’un des types de dioxines rejetées par l’incinérateur dans le groupe 1 des cancérogènes certains pour l’homme. Ces substances agissent comme des promoteurs de cancer et des perturbateurs endocriniens.

« On s’est bagarrés pour avoir une étude épidémiologique, on ne l’a jamais eue », explique un habitant. En l’absence de registre de cancer en Île-de-France, impossible de mesurer les pathologies liées à l’ancienne usine. [...]

Pourtant, la dangerosité des dioxines était déjà connue – même si de façon moins précise et documentée qu’aujourd’hui. La première directive européenne concernant la pollution atmosphérique émise par les incinérateurs date de 1989. Le premier arrêté ministériel limitant en France le rejet de poussières remonte à 1991. [...] Pour Corinne Lepage, « c’est un cas d’école de prise de risque délibérée pour la population en violation délibérée de la loi, alors qu’il y avait des conséquences gravissimes ».

Malgré plusieurs rapports de la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), l’usine a continué de fonctionner jusqu’en juin 2002. La préfecture a laissé l’usine brûler les ordures ménagères en dépit des alertes de son service. « Des élus ont obtenu la bienveillance du préfet pour continuer à polluer en toute tranquillité », résume Corinne Lepage.

Pascale Coffinet, l’ancienne maire du Maincy, à la pointe du combat contre l’incinérateur, dit avoir été convoquée par le préfet pour la convaincre de lever l’arrêté municipal interdisant la consommation d’œufs, pour ne pas effrayer la population. « L’État a été totalement défaillant », résume un avocat. Un arrêté préfectoral a fini par demander la fermeture de l’usine, en juin 2002. [...]

Au cœur du procès se loge la question de l’imputabilité des faits : qui est responsable du
délit ? Qui doit être sanctionné ?






En 1974, c’est le Syndicat intercommunal pour l’assainissement et le traitement des déchets ménagers (SIGUAM) qui reçoit l’autorisation d’exploiter l’usine de traitement des ordures ménagères. Mais le 1er janvier 2002, il se fond dans la communauté de l’agglomération Melun Val de Seine (CAMVS). C’est donc l’agglomération qui est condamnée en 2018. En audience d’appel, l’avocat général explique que « la communauté d’agglomération est devenue juridiquement propriétaire du site et de l’autorisation d’exploiter accordée à la SIGUAM ».

Pour sa défense, la CAMVS plaide ne pas être la même entité que l’ancien syndicat mixte.

[...] Devant la cour d’appel, les avocats de la CAMVS ne se contentent pas de plaider la nature des liens juridiques entre les deux entités. Ils entrent sur un terrain très glissant : la mise en doute de la dangerosité des dioxines.

Florilège : « Des dioxines, il y en a beaucoup. Celles susceptibles de présenter des effets toxiques sont en nombre limité » ; « aucune certitude absolue », « aucun consensus absolu » sur « les liens de causalité entre les faits et le préjudice allégué ». « Quand je passe la rue pour aller au palais, il y a des dioxines. Je suis encore là, un peu après ma passation de serment », plaisante Pierre Chaigne, inscrit au Barreau depuis plusieurs décennies.

À la sortie, plusieurs habitant•e•s de Maincy regrettent ce « déni ».

L’avocat de la CAMVS les accuse de se livrer à « un certain tapage » : « On n’utilise pas les médias pour faire pression en masse » sur un tribunal. Pourtant, le scandale de l’incinérateur de Vaux-le-Pénil cause moins de bruit médiatique que le procès du couple Balkany.

En Seine-et-Marne, autour du bassin de Lacq ou des anciennes mines du sud des Cévennes, personne ne tient le compte de toutes celles et ceux qui doivent vivre avec les conséquences de catastrophes industrielles et de pollutions endémiques. Leurs douleurs, leurs colères et leurs batailles ne sont souvent visibles de personne d’autre qu’eux-mêmes.

Le délibéré est prévu le 11 octobre 2019."

Lire aussi nos informations sur l'incinérateur de Clermont-Ferrand ici.